Le monde est petit il faut croire [PV. Alwenna]

Judith en avait plein les pattes, plein les pattes de son voyage. Non, de sa fuite, elle devait employer les vrais mots et ne pas chercher à s'endormir sur sa situation, elle n'était pas en voyage mais en fuite, en cavale, en pleine débandade. Cela faisait des semaines qu'elle était sur les routes, à courir pour sa vie. Elle avait été contrainte d'abandonner son foyer, la terre où elle avait fait ses premiers pas, le ciel plein de lumière qui l'avait vu grandir, pour s'engager sur des routes inconnues et boueuses sous un ciel gris qui menaçait constament de déverser tout son eau sur le monde.

Mais avant il y avait eu les longs jours de bateau, Judith avait été secouée par la houle et forcée de constater qu'elle n'avait décidément pas le pied marin, puisqu'une des rares choses qu'elle avait été capable de faire durant toute la traversée était de rendre le peu qu'elle réussissait à avaler, et se sentir à moitié agonisante. Vraiment, elle avait détesté le bateau, et elle n'était pas prête d'en reprendre un à moins que ce ne soit pour rentrer en Armorique. C'était donc pas prêt d'arriver.

L'enchanteresse avait aussi profondément regretté le climat clément de son pays natal alors qu'elle avait débarqué sur les plages du royaume de Logres, elle avait été accueillie par une pluie qui tombait à verse rendant plus froid encore l'air tout autour d'elle. Judith avait resserré les pans de sa cape tout autours d'elle, la jeune femme avait pris parmis ses vêtements les plus chauds avant de commencer sa fuite, consciente qu'elle en aurait bien besoin, mais alors qu'elle l'expérimentait depuis un moment déjà elle se demandait si elle s'y ferait jamais un jour.

Il lui semblait que la pluie tombait toujours sur cette île, en tous cas qu'elle n'était jamais bien loin. Judith se demandait sérieusement si sa cape avait été sèche depuis qu'elle avait fait ses premiers pas ici. En tous cas depuis le bas de ses vêtements, ainsi que ses chaussures étaient toujours maculés de boue. Elle n'avait jamais mangé autant de pommes à chaque repas dans sa vie, et le pain était franchement dégueulasse. Ouais, ça c'était vraiment agaçant, elle avait recraché immédiatement la première bouchée qu'elle avait eu l'inconscience de prendre. Franchement, elle ne savait pas comment les paysans du coin se démerdaient pour faire un pain aussi dégueulasse à tous les coups, mais par la Grande Mère elle ne serait pas surprise s'il y avait un peu de sorcellerie là dessous. En tous cas maintenant elle n'en mangeait plus, ou alors seulement bien imbibé de sauce ou de bouillon au point que l'on ne sente plus le goût originel.

Non, les dernières semaines avaient été rudes pour la jeune femme, elle n'avait pas de nouvelles de Liodel et ne pourrait en avoir qu'une fois qu'elle aurait réussi à retrouver Cahir et Ninian, ils s'étaient mit d'accord sur cela. Il était plus sur pour eux deux de ne pas être en contact direct pour un moment, jusqu'à ce que les choses se tassent bien. Jusqu'à qu'un de ses deux aînés puisse joindre leur frère elle devrait s'en remettre à sa capacité de débrouillardise et faire confiance au destin, celà ne l'empêchait pas de murmurer chaque soir des prières aux dieux pour le bien-être de Liodel et des bénédictions pour que la chance reste à ses côtés. Elle ne serait vraiment rassuré qu'une fois qu'elle aurait une missive de sa main sous les yeux l'assurant de celà.

Enfin, elle se rapprochait un peu plus de cet objectif, elle était à sa dernière étape avant de rejoindre Kaamelott et donc son frère, Ninian. Judith en avait tellement hâte ! Revoir enfin un visage familier, serrer son frère dans ses bras comme elle n'avait put le faire depuis longtemps. Retrouver ainsi un bout de son foyer, et espérer pouvoir reconstruire quelque chose. Oui, après une dernière nuit à l'auberge elle pourrait enfin commencer à construire quelque chose et retrouver les gens qu'elle aimait. Cette nuit là le sommeil avait été long à venir alors que l'enchanteresse tournait et se retournait sur la paillasse de la chambre de l'auberge.

Le lendemain elle avait entrepris de mettre les petits plats dans les grands pour ses retrouvailles avec Ninian. Elle avait fait préparer un bain, contre un petit extra sur le prix de la nuit, qui ne serait pas du luxe. La jeune femme avait savouré avec plaisir l'eau chaude sur sa peau alors qu'elle travaillait à nettoyer la moindre parcelle de sa peau de sa chevelure de la crasse de son périple. A la fin de cette tâche, sa peau était propre, elle sentait désormais plus la rose et le jasmin que la route et l'humidité (entre autre), ses cheveux d'ébéne étaient humides mais désormais libres de tout noeud et Judith les avaient soigneusement peignés et tressés. L'enchanteresse avait aussi sorti la plus belle tenue qu'elle avait emportée avec elle et réservér justement pour cette occasion, elle se doutait que personne ne la prendrait au sérieux si elle prétendait vouloir voir un chevalier en ressemblant à une clodo ou une grouillot. Le tissus était froissé après avoir passé tant de temps dans son paquetage mais la qualité de l'étoffe restait indéniable et puis ça devrait faire l'affaire.

La jeune femme avait achevé sa tenue avec un bijou, dernier moyen de souligner qu'elle n'était pas une simple pécore. Il y avait un petit côté sarcastique dans l'ornement qu'elle avait choisi de porter, un des seuls qu'elle avoit choisi d'emporter parmis les quelques pièces qu'elle possédait en Aquitaine. C'était une très belle pièce d'ailleurs, un très beau collier en argent dont le médaillon oval portait un iris délicatement dessiné avec une petite émeraude taillée en rond qui était sertie juste sous la fleur. Vraiment une très belle pièce qui avait dû coûter un bras, ou quelque chose comme ça, mais pour le coup Judith comprenait très bien pourquoi. Ce bijou c'était l'autre enfoiré de noble qui l'avait apporté à Judith, et quand elle l'avait chassé cet abruti l'avait oublié sur la table. Sans remord la jeune femme l'avait pris en sa possession, considérant que ce serait un paiement pour le dérangement et un dédomagement pour la connerie crasse de ce salopard.

Aujourd'hui elle regrettait encore moins de l'avoir pris et de le porter, elle le prenait comme une petite revanche avant de pouvoir exercer son véritable courrou sur l'homme. Elle allait lui faire regretter le jour de sa naissance… Elle se l'était promis.

Kaamelott était impressionnant, grandiose même, les pierres de granit s'élevaient fièrement et l'endroit semblait fourmillier d'une activité incessante et variées. Jamais Judith n'avait quelque chose de semblable au cours de sa vie en Aquitaine, la variété des tenues des gens qui discutaient dans la grande cour du château ou alors qui ne faisait que la traverser d'un pas plus ou moins pressé, il semblait à la jeune femme qu'en tendait l'oreille elle pouvait attraper des mots de langues étrangères aux consonnances entièrement inconnues et toutes les variétés de patois bretons et celtiques. L'endroit était immense et résonnait de vie et d'activité humaine, et rien qu'en n'ayant que ce court aperçu l'enchanteresse se demandait si ces lieux connaissaient jamais le repos. Il y avait quelque chose de vif et de puissant dans l'air, Judith ne trouvait pas ça désagréable. Cependant, clairement l'endroit était bien trop vaste et inconnu pour qu'elle se lance au hasard à la recherche de Ninian, il pouvait être n'importe où et il ne s'attendait peut-être pas à l'arrivée de sa petite soeur. Judith ne savait pas si Liodel avait envoyé un message à Cahir et Ninian, encore moins s'il était arrivé avant elle s'il existait. Il allait lui falloir de l'aide, de préférence de quelqu'un qui connaissait bien les lieux.

C'est une servante qui l'envoya auprès d'un potentiel guide, une gouvernante du château, la grouillot lui avait donné le nom de la dame et indiqué où elle pouvait la trouver avant de se hâter de retourner à ses tâches urgentes. Alwenna.

Il s'agissait d'une belle jeune femme aux cheveux bruns soyeux ondoyants, son teint était pâle mais pas maladif, ses yeux était vifs et brillants, et il semblait à l'enchanteresse qu'un soin tout particuliers était apporté à la toilette qu'elle portait. Pour un peu Judith aurait presque eu honte de sa toilette simple, bien que de bonne qualité, presque si elle n'avait pas eu autant d'assurance et de fierté. Elle s'approcha donc de la jeune femme, elle ne devait d'ailleurs pas être bien plus vieille qu'elle, avant de l'interpeller.

-Bonjour, excusez-moi, vous êtes bien la gouvernante Alwenna ?

On ne pouvait pas dire que l'accueil de la gouvernante fut très… accueillant. Judith avait l'habitude d'être prise pour la plus basique des servantes ou des pécores, parfois même pour une esclave qui ne causait pas la langue. En vingt ans elle aurait dû s'y faire et accepter que ce sont des choses qui arrivent, seulement ce n'était absolument pas le cas. Et elle ne comptait pas, absolument pas, que ce jour marque le début d'une habitude. Elle avait sa fierté et son orgueil, et Alwenna venait juste de frapper en plein dedans.

Les traits de la jeune femme se plissèrent en une moue amère, le bleu intense de ses yeux s'assombrit de la flamme noire de la colère, si celà avait été possible ses oris seraient déjà en train de cracher traits de feu et éclairs sur la gouvernante. En un instant le visage neutre et poli de l'enchanteresse avait fait place à un masque d'indignation et de colère saisissant et elle plantait son regard dans celui de son interlocutrice.

-Et ben, ça c'est de l'accueil ! Vous recevez toujours les gens comme ça à Kaamelott ou je suis juste tombée sur la connasse de service ?

Le ton de l'enchanteresse était acide, mordant même. Elle aussi pouvait se montrer insultante et directe, d'ailleurs elle ne s'en privait pas.

-Je voulais savoir si vous saviez où se trouvait mon frère, le chevalier Ninian d'Aquitaine, on m'a dit que vous auriez peut-être une idée. Mais si vous n'êtes pas fichue de faire la différence entre une servante qui vient vous demander quoi récurer ensuite et une enchanteresse qui cherche sa famille, ça me parait mal barré !

Non mais franchement, elle avait de la merde dans les yeux ou quoi ? Franchement ça commençait bien cette histoire… Pays de chiotte… Si tous les gens du coin étaient comme la gouvernante ça s'annonçait absolument superbe comme truc…

-Et très drôle pour le marron, on me l'avait jamais faite celle là. Perspicace et originale, vous les cumulez dites donc !

Elle ajouta cette dernière remarque sur un ton sifflant, elle n'avait certes pas un teint des plus communs dans cette partie du monde et on lui avait toujours fait sentir en dehors de son cercle familial, mais Judith s'était toujours fait un devoir de ne jamais en avoir honte et de répondre à la moindre remarque sur sa peau brune.

Les lèvres de la jeune enchanteresse se plissèrent un peu plus amèrement, si vraiment c'était dans les habitudes de la maison de causer aux gens comme ça, il allait y en avoir des prises de bec. Judith n'aimait pas être prise de haut et traitée comme une moins que rien, elle n'était pas rien. Elle avait même la chance d'avoir bien plus que beaucoup, et elle en était fière. Elle regrettait déjà un peu plus intensément son foyer, si dispute il y avait, et il y en avait, ce n'était pas gratuitement. La discorde s'annonçait comme le pain quotidien de la capitale du royaume de Logres, en même temps vu la tronche du pain local ça n'avait rien de vraiment surprennant.

Effectivement, Ninian et Judith ne se ressemblaient pas. Lui était blond comme les blés, elle brune comme le charbon. Il avait la peau blanche et rosée, elle bistrée. Des yeux bleus pour l'un, gris pour l'autre. Non, physiquement les deux jeunes gens ne se ressemblait en rien, Judith ne ressemblait pas à ses frères c'est un fait. Pourtant elle n'en restait pas moins leur soeur, ils étaient tous les quatre sortis du même ventre, avaient poussés leurs premiers cris dans la même chambre, étaient bercés dans les mêmes bras tendres, avaient bû aux mêmes seins. Ils avaient grandis ensemble dans la même maison sous le regard attentif d'Ezéline. Cela rien et personne ne pourrait le nier ou revenir dessus, elle était bien la fille de leur mère.

-Décidément vous avez l'oeil, vous. Répondit Judith, acide.

Ninian n'était pas là, c'était bien une mauvaise nouvelle ça. Certainement un des plus mauvais cas de figures. S'il était parti avant d'avoir reçu la missive de leur frère aîné, Judith devrait se débrouiller seule pour la suite, si Liodel se montrait aussi disponible que son jumeau. Elle n'avait aucun autre contact dans la région, et elle savait d'expérience que Liodel pouvait être aussi difficile à saisir qu'une anguille. Prise dans sa réflexion ne releva pas le dernier commentaire, et honnêtement elle se fichait comme de ses premiers chaussons des remarques personnelles de la gouvernante.

-Quand est-il parti ? Vous savez si quelqu'un sait quand il va revenir ? Il y a potentiellement un moyen de le contacter ?

Judith se garda bien de faire remarquer à la jeune femme que les nuances de leurs peaux était loins d'être semblables. Et que les cons ne se privaient pas de médire sur le palier des gens sans pour autant balayer devant leurs portes. Elle se contenterait du fait que ce n'était pas une attaque, volontaire du moins. Par contre elle ne tenait pas particulièrement à pâlir, la perspective était même loin de l'enchanter.

-Formidable… J'adore risquer de décolorer.